Vous souvenez-vous des mises en garde d’Henry Plée ? Dans ses Chroniques Martiales publiées dans Karate Bushido, il insistait sur la prudence nécessaire avant de révéler certains aspects des arts martiaux – des vérités trop sensibles pour être exposées au grand jour, car elles risquaient de gêner des "intérêts" dotés de moyens, pas forcément physiques, de "faire taire".
À l’époque, ces précautions semblaient excessives. Aujourd’hui, elles sont compréhensibles. Pourquoi ? La dislocation socio-économique n’est plus une hypothèse, mais une réalité admise par presque tous, et les "puissants" redoublent donc d’efforts pour maintenir leur emprise sur les "impuissants". Parmi ces "efforts", certains plus insidieux que la simple menace physique, nous guettent. Lesquels ? Cet article en cible un – l’emprise des écrans – et propose une réponse : les arts martiaux, notamment ceux dits "cérémoniels". Embarquons pour un voyage entre cyberpunk, ésotérisme et combat intérieur.
Retour aux sources : le cyberpunk et l’ère de l’information
Remontons quelques décennies en arrière. Dans les années 70 et 80, le cyberpunk envahit librairies et imaginaires. Porté par des auteurs comme William Gibson avec Neuromancien, ce courant s’inspire d’œuvres comme celles d’Alvin Toffler (Le Choc du futur, La Troisième Vague). Le constat est clair : l’humanité entre dans l’ère de l’information, un eldorado où la connaissance devient pouvoir et la technologie, une extension de l’esprit. La "Matrice" – cet espace où les cerveaux fusionnent avec les machines – promet le "fun" tout en dissimulant une menace sourde: L’intelligence artificielle y fait déjà ses premiers pas.
Pour les geeks d’alors (quand le terme désignait encore des rêveurs marginaux), ce futur était radieux. Internet, émergeant dans les années 90, semblait concrétiser cette vision : un lieu de savoir, d’échange, d’aventure.
Mais la réalité a basculé dans le cauchemar. Comme l’analyse Emmanuel Todd dans La Défaite de l’Occident, Internet et les smartphones, loin d’émanciper, sont devenus des outils de surveillance totale au service de quelques-uns. Pire : là où Orwell imaginait un 1984 imposé par la force, nous payons aujourd’hui pour être enchaînés à nos écrans.
La Matrice inversée : quand les écrans colonisent nos esprits
Dans le cyberpunk, les humains se connectaient à la Matrice. Dans la réalité, ce qui arrive est l'inverse : via les écrans, la Matrice – le "réseau" – s’est branchée à nos cerveaux. Images, notifications, algorithmes imposent leurs récits, leurs vérités, leurs illusions, parfois à notre insu. Plus grave encore, ils permettent à certains de manipuler nos consciences à distance.
Nous voilà prisonniers d’une caverne platonicienne 2.0, où les ombres dansent sur des LED, outils de ceux qui contrôlent le "peuple" par ce lien cybernétique. Libérer nos esprits devient une urgence.
Henry Plée, dans une de ses chroniques les plus marquantes, évoquait le "monde intérieur" – cet espace mental à redresser pour conquérir sa liberté. Il reprenait l’allégorie du chariot, en "omettant" toutefois des détails fondamentaux quand il évoquait le modèle platonicien : deux chevaux, l’un noir (les passions), l’autre blanc (la raison), qu’il faut apprendre à maîtriser. Mais comment tenir les rênes quand des machines nous les arrachent ?
C’est là qu’interviennent les traditions ésotériques ou occultes. Soufisme dans l’islam (une référence majeure pour H.Plée), Kabbale dans le judaïsme (qui, au passage ne remonte pas à la genèse, mais bien plus probablement, découle elle même d'un savoir plus ancien extérieur à la tradition juive), prière simple dans le christianisme. Attardons-nous, un court instant sur cette dernière tradition. D'origine, elle refusait l'ésotérisme et les initiations payantes, sans doute la raison pour laquelle, en France, on demande toujours à ce que les formations (ésotériques ou non, tout "savoir" en général) soient gratuites. Le substrat religieux est toujours là (y compris dans les arts martiaux) quand je vois des pratiquants vouloir "tout avoir" sans aucune contrepartie de leur part. La première question fondamentale dans l'acquisition d'un savoir est toujours : Qui paye ? (que ce soit en espèces ou en nature)
Bref de nombreuses pratiques (plus ou moins méditatives, la méditation étant un aspect fondamental mais qui doit impérativement être équilibré) issues de cultures à cotés de notre "société matrixée" ou nous ayant précédées sont disponibles.
Platon et ses héritiers par exemple, sont, de par le fait que nous sommes une "culture fille" ce cette histoire, les plus adaptés "naturellement" à des pratiquants européens qui aurait envie de s'investir de la manière la plus "simple" possible.
Attention toutefois, comme au Krav Maga, simple ne veut pas dire facile ou rapide. Boris Mouravieff estimait que le travail nécessaire était un effort comparable voire supérieur à celui demandé pour des études.
De plus, de même également que pour les différents arts martiaux, aucune de ces traditions n'est parfaites Elles ont chacune leurs points forts et leurs points faibles et comme pour les arts martiaux, ce qui compte in fine ce sont les qualités et capacités du pratiquant.
L'important est que toutes offrent des outils pour briser ces chaînes invisibles. Plée les effleurait sans jamais livrer la carte complète. Cet aspect crépusculaire (quand la lumière décline) ou auroral (quand elle renaît) invite à chercher ce qui est resté implicite, protégé des manipulations des "puissants", dans ces savoirs, souvent réservés à des initiés. Au passage, le mot initié ne doit pas vous intimider ou vous inhiber : lire ces lignes fait de vous un initié partiel avec bien assez de "levure" pour pouvoir apprendre comment lutter contre la matrice. À vous, toutefois, d’apporter la farine (la pratique) et de cuire le gâteau (une action réelle sur vos mondes, intérieur(espace mental) et extérieur(le Monde) ). Au passage, méfiez-vous de ceux qui collectionnent les "levures" pour un tout petit gâteau : ce n’est pas la quantité d'initiation qui compte, mais ce que vous en faites.
Les arts martiaux : un antidote au délire numérique
Revenons à notre époque. Internet n’a pas tenu ses promesses d’émancipation. Au contraire, il accélère et amplifie une prise de contrôle sociale et mentale, mise à nu par la crise du Covid-19. Les révélations récentes (propagande gouvernementale, mainmise sur les réseaux sociaux confirmée par des enquêtes comme celle du Congrès américain avec le rapport du 2 décembre 2024) montrent une manipulation des consciences à grande échelle par une poignée d’acteurs.
Certains ont vu dans cette réponse à la crise du covid 19 un délire religieux planétaire, une transe évoquant les Bacchantes d’Euripide, les sorcières de Salem (coucou Arthur Miller) ou même des sacrifices à Baal Moloch. Une lecture pertinente si l’on entend "religion" comme un travail sur les consciences. Oswald Spengler annonçait cet "âge de la religiosité seconde" et du césarisme : deux siècles de "pouvoirs autoritaires" et de ferveurs irrationnelles nous attendent.
Mais tout n’est pas perdu. Comme les générations de l’an zéro ont façonné le monde post-romain, nous pouvons dessiner l’avenir. Mieux : dans cette ère unique où notre civilisation a pu dominer la planète, nous avons la chance de définir le cadre de la quasi-totalité de l'humanité future.
Et si, dans ce cadre, les arts martiaux étaient une des clés pour léguer une société moins déséquilibrée entre " les puissants" et " les autres" ?
Pas seulement les disciplines de self-défense comme le Krav Maga – qui exige bien, je le rappelle, un esprit sportif, clair et sain (la référence) – mais surtout les arts martiaux cérémoniels à haut niveau : Tai Chi Chuan, Aikido, Kung Fu traditionnel, voire, paradoxalement et de manière surprenante, certaines formes modernes de Karaté.
Ces arts martiaux cérémoniels jugés "peu pratiques" en combat, recèlent une puissance libératrice (cf. le 6e kyokun : "L’esprit doit être libre" ou "L’important est de garder son esprit ouvert sur l’extérieur") très proche (voire similaire) aux formes disponibles dans les traditions religieuses ou philosophiques et plus efficace que les formes disponibles dans les arts martiaux purement "self défense" ou sportifs.
Notez qu'il y a également des avantages (et donc mécaniquement des points faibles...) dans les arts martiaux cérémoniels par rapport à une pratique "purement" religieuse. Attention, toutefois sur cet aspect , les arts martiaux et les religions s'ils peuvent se mélanger harmonieusement (ce qui est arrivé à Shaolin par exemple. Même si c'est sous une forme moins caricaturale que ce qui restent porté par les récits mythiques ou légendaires), peuvent aussi donner des mélanges détonants (la guerre des boxers) quand c'est fait sans le "contrôle" d'une structure prévue (cf ci dessous).
Les différentes techniques mentales proposées dans les arts martiaux traditionnels (miroir des techniques physiques apprises dans le cadre d'un art martial) permettent d'apprendre et/ou d'améliorer la clarification de l’esprit, la prise de conscience de nos ressorts plus ou moins inconscients et ouvrent, in fine, une porte hors de toute matrice, qu’elle soit moderne ou à venir. Cela nous libère individuellement et ensuite cela permet d'identifier les gens "comme nous" qui peuvent, enfin, collectivement s'opposer à l'appétit de la matrice par leur "organisation". (kyokun 4 "Apprendre à se connaître, puis connaître les autres").
Comme le disait Martin Luther King "Ceux qui aiment la paix doivent apprendre à s'organiser aussi efficacement que ceux qui aiment la guerre."
Une fraternité hors du système
Les arts cérémoniels ne sont donc ni des hobbies pour marginaux ni des fantasmes de cadres rêvant d’être samouraïs. Ils s’inscrivent dans une tradition de fraternité et d'espace de liberté individuel et collectif (quand l'éthique est respecté...), comme le Wulin chinois qui pouvait s'opposer à l'administration de l'empire chinois. Notons que cette fraternité était absente des arts martiaux du Japon d’Edo, où une "matrice" propre cherchait à diviser les écoles d’arts martiaux plutôt qu’à les unir afin d'éliminer un potentiel contre pouvoir.
Face aux clubs modernes standardisés, inféodés aux politiques sportives ou culturelles étatiques (malgré quelques exceptions déjà "plus que des clubs"), ils offrent la "colonne vertébrale" d'une alternative.
Pour gagner en puissance et en résilience, ils pourraient s’allier aux arts martiaux de self-défense et "sportifs" (Attention là je parle de sport d' "éducation physique" et non de "sport de compétition") dans l’esprit des "pavillons" décrit sur ce blog, animant ainsi l’esprit des pratiquants et du collectif qui s'identifie.
Cet article vise donc surtout à réhabiliter les arts martiaux cérémoniels : bien utilisés (voir les posts sur l’éthique et le pouvoir), ils démontent les illusions, affûtent la lucidité et permettent de voir au-delà des récits imposés – sur le Covid ou ailleurs. En synergie avec d'autres types d'arts martiaux, l'effet est démultiplié. Les arts martiaux offrent alors réellement l'émancipation mentale et physique qui est souvent affichée mais rarement explicitée.
Face à l’emprise des écrans ou à toute Matrice, actuelle ou future, ils sont une réponse tangible : un retour à soi, une discipline hors de portée des algorithmes. Mais cela exige un changement radical – un autre rapport à la société des arts martiaux, une organisation nouvelle. Le monde d’avant est mort. À vous, à votre club, dojo, kwoon ou palestre, de vous y préparer. Inutile de réinventer la roue : des structures historiques ont prouvé leur résilience. Étudiez-les (pour votre inspiration, j’en ai détaillé une sur ce fabuleux blog) et mettez-les en œuvre. Sortir de la Matrice est possible – à condition d’agir.
par Kraphi avec la collaboration de Suzane C. Krave